Depuis septembre 2014, le cycle « cinéphilo » s’est déployé en plusieurs lieux, à Marseille et dans sa région. Une quarantaine de séances ont eu lieu, réunissant un grand nombre de spectateurs et mobilisant une dizaine de professeurs de philosophie.
Dans le cadre du Festival CinémAnimé, organisé par l’association Cinémas du sud, une séance a été proposée à Martigues autour du film La sociologue et l’ourson d’Etienne Chaillou et Mathias Théry.
- Type d’atelier : Ciné-philo
- Date de l’atelier : Novembre 2016
- Lieu : Cinéma Jean Renoir (Martigues)
- Durée de l’atelier : projection et 1h de discussion
- Intervenant(s) artistique(s) : Marc Rosmini
- Public concerné : spectateurs du Renoir
Quel regard sur les films ?
«Notre approche évite de ramener un film à son scénario, à son « thème », ou encore à son supposé « message », ce dernier terme étant particulièrement réducteur. L’intérêt d’un film, notamment pour la philosophie, ne réside pas seulement dans son récit, ou bien dans les sujets qu’il aborde, mais sa forme singulière. Quant aux films qui défendent explicitement un « message », ils relèvent davantage de la communication, voire de la propagande, que de l’art cinématographique.
Notre ambition est donc d’être attentifs aux spécificités formelles de chaque œuvre, et de partir de ces qualités pour travailler des concepts, et formuler des problèmes. Si on devait résumer les trois opérations intellectuelles qui définissent une pensée philosophique, on pourrait dire en effet qu’elle consiste à problématiser, à conceptualiser, et à argumenter. Les (bons) films n’étant pas « argumentatifs », c’est donc sur le travail de conceptualisation et de problématisation que nous insistons.
Autrement dit, il s’agit moins de commenter le « message » du film – car les œuvres d’art sont par essence équivoques et polysémiques – que d’explorer la manière spécifique qu’il a de nous interroger.
Pour chaque film, nous tentons donc d’explorer non seulement sa portée éthique et politique, mais aussi ses dimensions métaphysique, anthropologique, épistémologique, et bien sûr esthétique.»
Déroulé de la soirée
«Pour cette soirée, j’avais proposé de réfléchir sur la question « Qu’est-ce qui fait la qualité d’un débat politique ? » Cette question peut en effet être posée sur un triple niveau : celui des débats ayant eu lieu autour du « mariage pour tous », et dont chacun pouvait avoir le souvenir ; celui du film, et de sa façon de faire écho à ces débats ; celui des échanges qui auraient lieu entre nous, dans la salle, après la projection.
Les spectateurs présents ont pu mesurer à quel point un choix stylistique peut orienter de manière spécifique la discussion. En effet, les décalages qui sont au cœur du dispositif formel de La sociologue et l’ourson créent nécessairement une forme de distanciation, qui interroge justement l’idée de « bonne distance » à partir de laquelle on peut saisir les enjeux d’un choix de société. Si l’on est trop près, on risque d’être aveuglé, et de ne pas saisir l’ensemble des angles de vue selon lesquels le sujet peut être pensé ; si l’on est trop loin, il est également impossible, mais pour une raison inverse, d’y voir clair.
Ce film de est donc un excellent support pour réfléchir à la façon dont se constitue un problème public dans différents espaces qui sont – ou du moins devraient être – dans un rapport de continuité : la famille (ici, les discussions au sein de la famille Théry), les médias, la rue (comme espace de manifestation, mais aussi d’échanges), les lieux de la recherche scientifique (en l’occurrence historique et sociologique), les structures militantes, l’Assemblée Nationale, etc.
Exemplairement, La sociologue et l’ourson montre à quelles conditions il existe ou non une circulation fluide et féconde entre ces différents espaces. Pour le dire autrement, il interroge les conditions et les limites d’un débat public « éclairé ».
C’est justement ce sur quoi avait essentiellement porté la discussion après la projection du film lors de cette séance de « cinéphilo ». La plupart des spectateurs semblaient partager l’idée que, si le vote de la loi Taubirat pouvait être mis au crédit du quinquennat de François Hollande, le débat autour de cette loi avait été plutôt raté. A partir de ce que montre le film, la discussion collective a pu mettre en évidence ce qui aurait pu être fait, notamment en matière de pédagogie, pour que ce débat soit davantage éclairant pour la collectivité nationale.
Par sa façon de croiser le film d’animation et le documentaire, ainsi que la « grande Histoire » et celle d’une famille singulière, La sociologue et l’ourson interroge un concept qui est commun au cinéma, à la politique et à la philosophie : le « point de vue ». C’est donc bien la forme même du film qui a suscité un type particulier de questionnement.
Au terme de l’échange qui avait suivi le film, un consensus s’était dégagé pour considérer que la qualité d’un débat politique dépend notamment de la façon dont peuvent se croiser les différents « points de vue » dans le cadre plus général d’une éthique de la communication. Cette soirée a donc été enrichissante, et particulièrement réflexive dans la mesure où le débat a non seulement porté sur un sujet de société, mais aussi sur les conditions générales auxquelles un débat peut avoir lieu.»