Existe-t-il des zones blanches de l’éducation aux images dans la région ?

Atelier de réalisation à Clans, dans la vallée de la Tinée (06), animé par Le Cercle rouge dans le cadre des Courts sur Tinée, Passeurs d'images 2024
Atelier de réalisation à Clans, dans la vallée de la Tinée (06), animé par Le Cercle rouge dans le cadre des Courts sur Tinée, Passeurs d'images 2024

Existe-t-il des différences d’accès aux dispositifs d’éducation aux images en Provence-Alpes-Côte d’Azur, et pourquoi ?

Coordinateurs de dispositifs, responsables de cinémas ou d’associations, professeurs… Nous avons interrogé des professionnel-le-s du secteur qui nous racontent leurs difficultés et leurs solutions pour amener le cinéma dans les moindres recoins de la région. En partant de leur expérience, nous dressons cet état des lieux certes pas exhaustif, mais qui donne des pistes à explorer pour mieux desservir les zones isolées !

Quelques chiffres

La mise en œuvre de projets d’éducation aux images, en temps scolaire et hors temps scolaire, repose sur une multitude de facteurs : proximité géographique avec un cinéma, motivation et formation des acteurs, connaissance des financements… Il est ainsi difficile de dresser un constat précis sur les raisons de l’accès, ou non, aux dispositifs et ses raisons, mais les chiffres nationaux et régionaux peuvent donner quelques pistes.

À l’échelle de la région, un bon accès aux dispositifs scolaires…

En 2022-2023 (derniers chiffres disponibles), sur la totalité des élèves maternelle, école, collèges, lycéens et apprentis de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, 151 895 élèves ont participé à un dispositif Ma classe au cinéma.

Dans le détail, ce sont par exemple 14,1 % des élèves d’élémentaire de la région qui participent à École et cinéma (EEC), et 15,3 % des collégiens qui participent à Collège au cinéma (CAC)… Soit des chiffres comparables voire supérieurs au niveau national : 14,5 % d’élèves pour EEC, et 14,2 % pour CAC.

… Mais qui cachent des disparités

Par exemple, un département rural comme les Alpes de Haute-Provence est bien couvert par Collège au cinéma, avec 83 % des établissements inscrits… Mais beaucoup moins par École et cinéma, avec 37 % des établissements inscrits. De même, dans des départements que l’on pense bien desservis car denses, comme les Alpes-Maritimes ou les Bouches-du-Rhône, ce sont en fait seulement 27 % des établissements qui sont inscrits.

Sources : Chiffres 2021-2022 et 2022-2023 du Pôle régional d’éducation aux images / Bilan EEC et CAC 2022-2023 de l’Archipel des lucioles (dernier disponible) / Publication 2022-2023 de la région académique Provence-Alpes-Côte d’Azur / Bilan LAAC 2021-2022 du CNC (dernier disponible) / Data.gouv.fr

 

Et les dispositifs hors temps scolaire ?

Concernant les dispositifs hors-temps scolaire, les disparités sont plus intuitives. Les projets Passeurs d’images, par exemple, se concentrent d’abord dans les Bouches-du-Rhône. Et dans les départements plus ruraux, ils restent en majorité dans des villes de taille moyenne : là où sont les structures culturelles et les artistes-intervenants. Sans surprise, leur répartition est comparable à celle de la population – sans pour autant être parfaitement identique.

En revanche, les résidences Été culturel – Rouvrir le monde (dispositif national), destinées aux enfants, jeunes et adultes éloignés des pratiques culturelles et s’appuyant sur différents types de structures, couvrent particulièrement bien les territoires ruraux : en 2023, 7,9 % des résidences étaient par exemple dans les Hautes-Alpes, alors que le département représente 2,8 % de la population de la région.

Le transport comme premier frein !

En temps scolaire

Les établissements scolaires situés en zones montagneuses ou rurales sont bien sûr ceux qui éprouvent le plus de difficultés à participer aux dispositifs scolaires… Mais la ruralité n’est pas la difficulté première : avec un coût du transport exponentiel, c’est en fait principalement la présence d’un cinéma à distance de marche ou atteignable avec des transports en commun qui définit l’accès ou non à Ma classe au cinéma.

Cette problématique est particulièrement vraie pour Maternelle et cinéma et École au cinéma. Car contrairement aux collèges rassemblés dans des villes, les écoles sont disséminées sur le territoire et parfois très petites… Et ne disposent pas du Pass culture pour payer la billetterie : entre le transport et les places, aller au cinéma avec sa classe y est donc un investissement conséquent. En outre, les circuits itinérants, qui peuvent pallier le manque de salles de cinéma dans certains cas, ne peuvent intervenir quand le nombre d’élèves est trop faible : le déplacement n’est pas rentable.

🎙️ C’est le constat que partagent Aurélie Amiel, Nadia Crespin, Catherine Mallet, toutes coordinatrices d’un ou plusieurs dispositifs Ma classe au cinéma.

🎙️ Fanny Bernard, adjointe à l’Action culturelle du rectorat de l’académie d’Aix-Marseille, souligne que la prise en charge du transport par le Pass culture n’est pas à l’ordre du jour.

Hors temps scolaire

Pour les dispositifs hors temps scolaire, le constat est similaire : le transport du public, des artistes et des oeuvres est le premier frein à la mise en œuvre de projets à l’éducation aux images. Et si des aides financières peuvent aider artistes et œuvres à circuler, la problématique du transport du public est liée à l’aménagement du territoire et reste difficile à contourner.

📊 L’étude Culture et ruralité, récemment publiée par le ministère de la Culture, confirme ce constat.

🎙️ Clémence Renoux, directrice et programmatrice du cinéma La Cigale à Cucuron, observe par exemple qu’avec des transports centrés sur Aix-en-Provence, les jeunes habitant dans des zones rurales ont finalement plus de facilité à se rendre dans cette grande ville distante que dans un petit village voisin !

🎙️ Émilie Allais, coordinatrice régionale Passeurs d’Images, souligne l’impact financier du transport sur les projets en zone rurale… Et constate aussi que même pris en charge, le temps de transport peut être disuasif pour les artistes.

🎙️Benjamin Walter, réalisateur et cofondateur de l’association Le Cercle rouge qui intervient en vallée de la Tinée, raconte que le budget transport est trop élevé pour permettre à son équipe de se payer : ses interventions sont bénévoles.

Une méconnaissance des dispositifs

Le deuxième frein régulièrement cité, tant pour les dispositifs Ma classe au cinéma que pour les dispositifs hors temps scolaire (Passeurs d’Images, Rouvrir le monde…) est leur méconnaissance par les professeurs, les cinémas ou les associations… Ou le manque de formation.

🎙️ Catherine Mallet, coordinatrice Ma classe au cinéma dans les Bouches-du-Rhône, observe que la participation des établissements ou des cinémas aux dispositifs est souvent liée à une personne qui s’y engage et porte le projet… Et que son départ peut provoquer un arrêt de la participation.

🎙️ Ingrid Tisserand, professeure et référente culture dans un petit collège du Var, raconte que les professeurs ont parfois des difficultés à faire de l’analyse d’image, ou à intégrer les films de Ma classe au cinéma dans leur progression.

🎙️ Emilie Allais, coordinatrice régionale Passeurs d’Images, constate que malgré un travail de repérage et de prise de contact permanent avec les acteurs de l’éducation aux images, le dispositif a du mal à se faire connaître – notamment en dehors des grandes villes. 

Couvrir les zones blanches : À chaque acteur sa solution

Pour que les zones les plus isolées aient accès à l’éducation aux images, chaque acteur ou outil a un rôle à jouer. 

👉  Les dispositifs et subventions en temps scolaires et hors temps scolaires peuvent venir soutenir ces zones. Par exemple, le Pass Culture est un vrai appui financier pour faciliter l’accès des collèges et lycées des zones isolées à Ma classe au cinéma, qui doivent déjà faire face à des dépenses de transport que n’ont pas les zones couvertes par un cinéma. Hors temps scolaire, des dispositifs comme Rouvrir le monde ou Passeurs d’images favorisent les projets tournés vers ces zones isolées.

👉  L’Etat et les collectivités ont le pouvoir de délivrer des aides et des subventions, mais aussi d’offrir un appui opérationnel : prise en charge de transports, mise à disposition et équipement de salles, mise à disposition de personnel, appui à la communication, etc.

👉  Les cinémas peuvent créer des circuits itinérants. Ils permettent aux établissements scolaires comme au grand public de bénéficier de séances de cinéma sans se déplacer.

👉  Les artistes, associations ou structures culturelles, enseignantes et enseignants ont un rôle d’impulsion. Leur énergie peut être le point de départ de projets d’éducation aux images dans une zone reculée.

👉  Les coordinateurs de tous les dispositifs, hors temps scolaire comme en temps scolaire, ont un rôle essentiel : face à un obstacle logistique ou financier, ils peuvent trouver des financements, mais aussi mettre en lien des acteurs, imaginer et mutualiser des solutions, faire connaître les dispositifs. Ce sont les rouages de l’éducation aux images !

En pratique : 8 témoignages d’acteurs de l’éducation aux images dans la région